Jeunesse nous emmène dans un long voyage de 212 minutes dans la ville chinoise de Zhili. Abritant plus de 18‘000 ateliers d‘assemblage d’habits, nous suivons des fractions de vies des ouvrières et ouvriers travaillant dans ces ateliers dans de mauvaises conditions. Cependant, ce film est loin du documentaire typique visant à sensibiliser aux conditions de travail d’une façon directe. Wang Bing choisit de montrer au spectateur des moments personnels, détaillant les liens que ces travailleurs ont pu former entre eux.
Principalement filmés dans les ateliers, nous rencontrons une multitude de travailleurs, qui, pour certains, nous sont présentés à travers leur âge et leur province d’origine à l’aide d’un petit texte à l’écran. La plupart sont des adolescents ou des jeunes adultes, conditionnés à travailler pour moins que rien dans des ateliers insalubres avant de se reposer dans des dortoirs où ils sont entassés. Ce film réussit à humaniser les déshumanisés, sensibilise le spectateur quant à la provenance de nos habits avec une approche totalement unique. En effet, les séquences sont brutes, sans voix-over. La caméra est tenue à la main pour la grande majorité des séquences, dont la plupart sont chargées à la fois au niveau de l’image et du son, que soit de chutes de tissus ou de discussions animées. Sans musique ajoutée, nous avons parfois droit à des segments de musiques passant à la radio, mais le son qui revient le plus est évidemment celui des machines à coudre.
Témoin de négociations, mais aussi de chamailleries et de dragues adolescentes, la caméra de Wang Bing a récolté des séquences pendant cinq ans, de 2014 à 2019.
Ce long travail de patchwork a donné naissance à une capsule de vie, une autre perspective sur le travail intensif que quelques 300‘000 personnes réalisent dans la ville de Zhili.
Wang-Bing assemble son film comme les ouvriers assemblent leurs habits, d’une façon précise et répétitive. Avec plus de 3h20, nous pouvons nous interroger sur le sens apporté par la durée de ce film. Peut-être que le réalisateur cherche à nous donner un avant-goût de la vie de ces jeunes adultes, tout en nous permettant d’éprouver la pénibilité du travail qu’ils réalisent.
Ce film-documentaire n’est pas pour tout le monde, je dois avouer qu’il est quasiment impossible de rester concentré d’un bout à l’autre et de trouver un fil rouge, étant donné qu’il n’y a pas vraiment d’intrigue à proprement parler. Nous sommes spectateurs d’une multitude d’interactions, passant d’une histoire à l’autre, comme ces ouvriers passent d’une commande à l’autre. Ce documentaire pourrait être qualifié d’ennuyeux ou répétitif, cependant je pense que la durée donne du sens au film, qui nous montre d’une façon crue et authentique le quotidien de ces travailleurs.
Autant touchant qu‘informatif, Le Spectre de Boko Haram nous emmène à Kolofata, un village à l’extrême-nord du Cameroun, à la frontière du Nigeria. Cyrielle Raingou montre avec une grande authenticité le quotidien des enfants de ce village, mélangé entre rires et coups de feu, espoirs et traumatismes. En effet, le village est hautement surveillé par l’armée, sous la menace du groupe terroriste Boko Haram, qui a été la source de multiples attentats à travers le Nigeria et le Cameroun. À travers ce film-documentaire contemplatif, nous sommes immiscés dans ce village, mais surtout dans des moments intimes tels que des discussions entre Ibrahim et Mohammed, deux jeunes frères réfugiés dans ce village dont les parents sont portés disparus. Nous rencontrons aussi Falta, une jeune fille qui demande à sa mère comment son père est décédé, lors d’une attaque de Boko Haram. Témoins également des cours enseignés à l’école, nous comprenons petit à petit comment les enfants sont marqués par ce conflit. L’exemple qui m’a le plus marqué est la séquence où le professeur demande aux élèves de sculpter des objets du quotidien, et où l’on voit les enfants sculpter chars, fusils et avions de chasse.
Ce film est un vrai bijou, montrant résilience et résistance à travers la perspective de ces enfants remplis de vie qui nous font rire et pleurer au cours du même dialogue. Catégorisé par le programme du Black Movie comme un „Hors-Champ menaçant“, Le Spectre de Boko Haram traite d’un sujet lourd et douloureux, sans pour autant montrer l‘aspect violent et physique de ce conflit. Se focalisant sur l’aspect mental et les conséquences sur les enfants habitant ce village, Cyrielle Raingou parvient à créer un film rempli d’émotions, mais surtout d’espoir.
Ce film indépendant qui nous est proposé au Festival Black Movie raconte l’histoire de deux frères, Ibrahim et Mohamed, et de la jeune Falta, enfant studieuse et travailleuse. Les trois reçoivent un enseignement à Kolofata, ville sous protection militaire. En effet, le groupe terroriste Boko Haram, situé dans l’extrême nord du Cameroun, menace la ville d’incursions meurtrières. Celles-ci ont déjà tué le père de Falta. De plus, les frères sont indisciplinés et ont tendance à désobéir. Les deux se sont échappés d’un camp terroriste, où ils avaient été amenés par un ami de leur père, ce qui laisse entendre que certains de leurs parents seraient aussi membres de Boko Haram.
La menace terroriste pèse sur les Camerounais et les habitants des pays alentours. Le traumatisme causé par ce conflit est présent dans l’esprit de tous. C’est pourtant avec confiance que les enfants vont se confier à Cyrielle Raingou et sa caméra. En leur laissant une place pour s’exprimer, la réalisatrice amène les enfants à se livrer de façon légère sur les atrocités qu’ils ont pu voir et subir. Le choix de la focalisation à travers les yeux des enfants n’est d’ailleurs pas anodin. À travers des plans de caméra doux, le spectateur est invité à imaginer et comprendre la violence sans pour autant la voir directement sur des images. L’étouffement de la violence terroriste est un choix médité de Cyrielle Raingou. Le groupe terroriste est un spectre, une évocation, un récit qui nous sera évoqué seulement par des enfants, et c’est cela qui inspire le nom du film.
Ce film plus proche du documentaire que de la fiction est d’abord très touchant. La créativité et la légèreté d’esprit que possèdent les enfants est un vrai hommage à l’humanité. Bien que très exposés à la guerre, ces jeunes Camerounais sont animés par la flamme, l’espoir, qui leur permet de surmonter les épreuves difficiles. Ils sont innocents, bien qu’ils aient pu voir des choses infernales, et leur sensibilité est très bien représentée à travers la caméra de Cyrielle Raingou. Ses plans sont calmes et humbles, purs et délicats. Le spectateur est immergé dans la vie quotidienne de ces enfants, qu’il apprend à connaître intimement et finit attristé de devoir s’en séparer à la fin.
Raydio, est le premier long métrage de Kaidi Zhan, cinéaste Taïwanais. Il prend place sur fond de pandémie du Covid 19, le masque est donc omniprésent jusqu’à la fin du récit. Dans ce film, on suit le personnage de Dio, un jeune homme travaillant dans un cinéma peu fréquenté. Son père, Ray, travaille le soir comme veilleur de nuit dans un centre commercial. La communication est presque inexistante entre le père et le fils qui se voient très peu. L’absence de dialogues en dit d’ailleurs long sur leur relation. Dio et son père sont pudiques lorsqu’il s’agit de leurs émotions. Les rires et les pleurs sont absents de ce film.
Le fils vit une histoire d’amour ratée qui frôle l’obsession mais celle-ci est largement secondaire dans le film. Son quotidien se résume à ses déplacements entre le travail et sa maison et à quelques discussions avec ses amis. La présence du fils devient presque un prétexte pour raconter la » chute » du père. La solitude de Ray, accentuée par la pandémie, est poussée à l’extrême lorsqu’on le voit parler avec des mannequins en plastique lors de ses veilles. Celle-ci est aussi exprimé à travers les quelques rencontres entre Ray et son ex-femme qui s’en va pour Shenzen. Addict, endetté jusqu’au cou, il bascule doucement dans la criminalité et la violence après un règlement de compte. Ray est dans une telle détresse qu’il agit de manière démesurée en achetant une voiture ou en voulant à nouveau emprunter de l’argent malgré ses dettes.
La relation à l’argent est donc une des thématiques centrales de ce film à la fois par l’importance donnée au travail, les trafics des amis de Dio, les vols d’objets ou d’argent et évidemment les dettes du père. C’est à travers une belle esthétique, des dialogues courts et épurés, des scènes qui parlent d’elles-mêmes et une musique soutenant l’atmosphère générale que Kaidi Zhan nous raconte cette histoire.