L’équipe du Jury des Jeunes et des Critiques en Herbes 2025

L’équipe du Jury des Jeunes et des Critiques en Herbes 2025

Crédits photo : Sébastien Moritz

de haut en bas et de gauche à droite : Eliah Oyugi, Emélie Van Engen, Margot Chatelan, Nina Zibung, Betsegaw Assefa Worku, Miranda de Thorpe Engler, Eugénie Garcia, Angelo ENrique de Jesus Sanchez, Mathilde Deslauriers-Franco, Lisa Arisaldi, Mila Carliez, Iulia Callau, Marine Bacchetta et Camilia Von Wyss.

La Lionne de Lisabi : le combat indomptable de Funmilayo Ransome-Kuti

La Lionne de Lisabi : le combat indomptable de Funmilayo Ransome-Kuti

Critique de Lisa Arisaldi à propos du film Funmilayo Ransome-Kuti, de Bolanle Austen-Peters

Funmilayo Ransome-Kuti est un long métrage nigérian réalisé par Bolanle Austen-Peters, sorti en 2024. Ce biopic de 91 minutes retrace la vie de Funmilayo Ransome-Kuti, figure de proue du féminisme et militante pour l’indépendance nigériane. Le récit explore son engagement politique, depuis son combat contre les taxes injustes sur l’eau et les marchés imposés par les autorités coloniales, jusqu’à son rôle de meneuse à l’Abeokuta Women’s Union.

Si le film parvient à mettre en lumière les moments marquants de la vie de Funmilayo, il laisse néanmoins plusieurs zones d’ombre qui mériteraient d’être approfondies. La narration se concentre principalement sur sa lutte contre l’injustice économique imposée aux commerçantes, mais effleure à peine son impact global dans le féminisme africain et sa contribution politique à l’échelle mondiale. Ce manque de développement, en particulier vers la fin du film, donne une impression de précipitation, empêchant d’appréhender pleinement l’ampleur de son héritage.

Dès l’ouverture, le film captive avec une scène intrigante où Funmilayo est brutalement jetée d’un balcon par la police nigériane. Pourtant, ce moment reste inexpliqué jusqu’à la fin, ce qui crée une rupture dans la continuité du récit. Ce choix scénaristique, au lieu de susciter un effet de suspense maîtrisé, donne plutôt l’impression d’un élément laissé en suspens, fragilisant la cohérence narrative. De plus, la conclusion semble précipitée, ne permettant pas de saisir pleinement l’impact global de Funmilayo sur les mouvements féministes et politiques de son époque.

Les flashbacks, qui auraient pu enrichir l’histoire et apporter de la profondeur au personnage, sont accompagnés d’effets spéciaux d’un style “vintage”. Si cette approche peut sembler audacieuse, elle s’avère excessive et parfois distrayante, atténuant l’immersion et la portée dramatique du récit. Une mise en scène plus sobre aurait sans doute mieux servi l’intensité historique du sujet.

Pourtant, certaines scènes se démarquent par leur force visuelle et symbolique. L’une des scènes le plus marquantes est celle où Funmilayo, vêtue de rouge, confronte l’Alake d’Abeokuta pour dénoncer les taxes abusives imposées aux femmes du marché. Le choix du rouge éclatant ne semble pas anodin : il incarne à la fois la passion, la colère et le sacrifice, illustrant la détermination inébranlable de Funmilayo face au pouvoir. Cependant, si cette scène capte l’essence de son combat, d’autres séquences sont affaiblies par des choix narratifs discutables. Les éléments romantiques, paraissent trop clichés et viennent diluer l’impact des moments clés, rendant certaines parties du film moins percutantes.

Le jeu d’acteur est un autre aspect contrasté du film. Kehinde Bankole (Funmilayo Ransome-Kuti dans les années 1940) offre une interprétation puissante et nuancée, rendant justice à la complexité du personnage. Joke Silva (Funmilayo Ransome-Kuti, après l’accident de 1977) apporte une profondeur supplémentaire avec une présence forte à l’écran. En revanche, certaines performances secondaires, comme celle de la journaliste française, manquent de subtilité et affaiblissent l’intensité dramatique de certains moments cruciaux. Cette inégalité dans le jeu nuit légèrement à l’immersion et à la portée émotionnelle du récit.

Malgré ces faiblesses, le film réussit à transmettre des thématiques puissantes. L’émancipation féminine, la résistance face à l’oppression coloniale et le pouvoir de la mobilisation collective sont au cœur du récit. L’esthétique du film, avec ses couleurs vives et ses cadrages dynamiques, renforce l’impact visuel et l’immersion dans l’époque. Toutefois, avec un budget important et la réputation de Nollywood, on aurait pu s’attendre à une narration plus équilibrée et à un développement plus approfondi des personnages secondaires.

En définitive, Funmilayo Ransome-Kuti reste une œuvre essentielle, qui met en lumière le combat d’une femme exceptionnelle contre l’injustice, tout en insufflant une touche d’humour rendant le visionnage agréable. Pourtant, on en ressort avec un sentiment d’inachevé : celui de ne pas avoir eu une vision complète de la vie d’une figure historique aussi marquante. Le film nous laisse alors avec une question : que reste-t-il d’un combat lorsqu’on n’en raconte que des fragments ?

Lesson Learned : un cri de révolte contre les bancs de l’autorité

Lesson Learned : un cri de révolte contre les bancs de l’autorité

Critique de Lisa Arisaldi à propos du film Lesson Learned, de Bálint Szimler.

Lesson Learned est le premier long métrage de fiction du réalisateur hongrois Bálint Szimler. Sorti en 2024, le film a été présenté dans la section Cineasti del Presente du 77e Festival du film de Locarno.

Le film suit Palkó (Paul Mátis), un garçon de 10 ans qui, après avoir quitté Berlin, peine à s’adapter au système éducatif strict de Budapest, et Juci (Anna Mészöly), une jeune enseignante qui rejoint l’école. Elle tente de comprendre Palkó et de l’accompagner lors de son arrivée , mais tous les deux se heurtent aux méthodes archaïques de l’école hongroise. Les thèmes principaux du film sont : les défis de l’adaptation, la rigidité du système éducatif et la quête d’une compréhension mutuelle.

Le film se distingue par sa qualité visuelle. Les plans serrés rendent compte de l’atmosphère étouffante de l’établissement scolaire.  Les extérieurs (par exemple la cour de récréation) sont caractérisés par des plans détaillés.

Les performances des jeunes acteurs, en particulier celles de Paul Mátis, apportent une authenticité touchante à l’ensemble.

Quant au personnage de Juci, il est complexe : elle incarne une enseignante empathique confrontée à des obstacles institutionnels qui la séparent de ses élèves. Son interprétation subtile met en lumière sa façon de communiquer qui, à l’école, ne fait que l’isoler et augmente son désir de changement.

Une scène particulièrement marquante est celle où Palkó est battu par son professeur d’éducation physique, Ákos, interprété par Ákos Kovács. Cette confrontation brutale et la réaction silencieuse mais expressive de Palkó, mettent en évidence la violence latente dans le système éducatif, conséquence du manque de compréhension entre les enseignants et les élèves.

Certaines scènes, comme celle de la pièce de théâtre, semblent se prolonger inutilement sans apporter de valeur ajoutée significative à la narration.

Lesson Learned offre une réflexion poignante sur les conditions difficiles des écoles hongroises et invite le spectateur à contempler la nécessité d’une réforme éducative pour libérer les esprits emprisonnés.

Le colonialisme : passé ou encore présent ?

Le colonialisme : passé ou encore présent ?

Critique de Camilia von Wyss à propos du film The Empty Grave, de Cece Mlay et Agnes Lisa Wegner

Songea, Tanzanie et John Mbano, un local dont l’aïeul a été exécuté par l’armée coloniale allemande au début du XXe siècle, sont les protagonistes de cette histoire. Son deuil s’est transmis de génération en génération, car la tête de Songea Mbano (son arrière-grand-père, un des chefs de la résistance Maji-Maji contre l’armée allemande) manque à la tombe. Elle a été emmenée en Allemagne à des fins de recherche eugéniste et raciste durant l’époque coloniale.

Nous suivons John et sa femme dans leur combat pour rapatrier le crâne de Songea Mbano, un chef de la résistance Maji-Maji exécuté par l’armée coloniale allemande au début du XXe siècle. Que ce soient ces familles qui doivent faire elles-mêmes l’effort de contacter les autorités pour réclamer justice, en Tanzanie mais aussi et surtout en Allemagne, est choquant. Que ce soit par amabilité ou pour souligner la honte qu’expriment plusieurs sujets allemands tout au long du film, les réalisatrices adoptent un ton cordial et conciliateur qui lisse en partie cette frustration, mais l’image de ces familles qui attendent sur plusieurs générations que les restes de leurs aînés reviennent au pays reste gravée dans la mémoire du spectateur.

Ce documentaire, un témoignage implacable de l’hypocrisie et de la lâcheté actuelles face à des horreurs passées, mélange les paysages magnifiques de Tanzanie et les chants des anciens combattants, nous plonge dans la culture tanzanienne et le lien précieux que les gens ont avec leurs ancêtres. The Empty Grave reprend aussi le débat, qui avait déjà été soulevé avec le mouvement Black Lives Maters, sur le nom des rues et les statues exposées dans le monde occidental qui rappellent les colons qui ont détruit la vie de milliers de gens juste à cause de leur couleur de peau. Il souligne bien l’inhumanité du racisme et dénonce le colonialisme qui est encore très présent. Ce que les protagonistes attendent, c’est une reconnaissance et une réparation de la part des pays colonisateurs, mais cette justice n’a toujours pas été rendue.

À travers un voyage entre la Tanzanie et l’Allemagne, les réalisatrices Agnes Lisa Wegner et Cece Mlay exposent un processus de restitution complexe et douloureux. Malgré un style documentaire conventionnel, le récit transpire l’émotion : chaque démarche administrative cache une blessure familiale non cicatrisée. Le documentaire interroge notre rapport à l’histoire coloniale et interpelle sur la nécessité de reconnaissance et de réparation.

The Empty Grave devient ainsi un miroir tendu à nos sociétés contemporaines : comment réparer les traumatismes historiques ? Comment transformer la reconnaissance en véritable justice ?

Lesson Learned, une leçon bien retenue

Lesson Learned, une leçon bien retenue

Critique de Nina Zibung à propos du film Lesson Learned, de Bálint Szimler

Dans son nouveau long-métrage, Bálint Szimler nous fait suivre l’histoire de Juci, une jeune enseignante, et de Palkó, un élève discret, débarquant tous deux dans cet établissement scolaire hongrois aux méthodes à la vieille école et au fonctionnement toxique. Entre des professeurs fermés d’esprit semblant avoir oublié qu’ils ont eux-mêmes été des enfants et de parents sans la moindre capacité de se remettre en question, le chemin est dur pour ces deux nouveaux arrivants.

Si le thème du système éducatif en crise abordé par le film est pertinent et mérite une visibilité, le rythme lent et les longues séquences de dialogues redondants et d’événements répétitifs, ne lui permettent pas d’être exploité pleinement. Malgré cela, le cinéaste hongrois construit un réalisme presque troublant, qui crée un véritable sentiment d’immersion et de répulsion face aux situations que le film raconte. Ces dernières laissent un drôle d’arrière-goût amer et familier. La durée et la routine des scènes s’installent, réveillant en nous un souvenir d’enfance peu agréable, de longues journées d’école, de professeurs peu considérant, de moments de lassitudes que l’on préférerait oublier.

En dépit de l’époustouflant jeu d’acteur des jeunes enfants emplis de spontanéité et de celui de Juci qui nous touche par des regards muets qui veulent crier à l’injustice, certaines longueurs auraient pu être épargnées. Nous peinons parfois à savoir où le film va nous mener : dénoncer, certes, mais encore. Il manquait un fil conducteur auquel notre attention aurait pu s’agripper durant les deux heures du long-métrage.

A travers la critique du milieu scolaire, Bálint Szimler pointe du doigt un système formant de mauvais adultes apathiques, qui à leur tour éduqueront sans réelle considération, et des enfants destinés à ressembler à leurs parents, incapables de penser à autre chose qu’à leurs propres intérêts. Une scène que je trouve très représentative du film est justement celle de l’interminable réunion parents-profs, où la pauvre jeune remplaçante peine à s’imposer aux parents mécontentes qui grognent bruyamment.

La fin nous laisse pour le moins sur notre faim : après deux longues heures qui présentent un problème bien pris dans l’engrenage du temps, la situation n’a guère vraiment évolué. L’arbre auquel Palkó a grimpé dans la scène finale du film – symbole d’espoir et cri de rage d’un enfant qui ne parle plus depuis quelques jours – est coupé à la tronçonneuse. On s’est finalement débarrassé de la mauvaise herbe qui dérangeait. Le problème est rafistolé, tout comme la fenêtre de l’établissement qui ne parvient pas à être réparée.

La vie d’immigré : souvent une double vie

La vie d’immigré : souvent une double vie

Critique de Camilia von Wyss à propos du film My Stolen Planet, de Farahnaz Sharifi.

Le Black Movie, un festival de films indépendants qui regorge de films intéressants et engagés à Genève, compte parmi ses nombreux titres My Stolen Planet de Farahnaz Sharifi. Il s’agit d’un documentaire autobiographique féministe qui nous plonge dans la vie de Farahnaz, une réalisatrice iranienne née durant la révolution islamique de 1979.

Farahnaz Sharifi, n’est pas seulement la réalisatrice de ce film, mais aussi la scénariste, la monteuse et la preneuse de son. En effet, son long métrage aux allures d’un journal intime mélange des archives personnelles, mais aussi collectives, de films trouvés du passé avec des séquences du présent. Le film reconstruit l’histoire iranienne à partir de la rupture entre le passé et le présent. Il montre la transition brutale entre l’avant et l’après-révolution islamiste de 1979. Mais il relate aussi d’autres événements clés tels que l’accident d’avion du 8 janvier 2020, lorsque les forces armées iraniennes avaient abattu l’avion avec deux missiles provoquant la mort de 176 personnes à bord de l’appareil. Ce sentiment de dualité imprègne tout le film : passé et présent, archives personnelles et collectives, intérieur et extérieur, Allemagne et Iran

My Stolen Planet nous plonge dans l’histoire poignante de Farahnaz, qui est aujourd’hui en exil en Allemagne. Partie d’abord pour une résidence d’artiste, elle ne peut plus rentrer chez elle, à cause de ses actes militants. Elle voit sa « planète « , ceux qu’elle aime, son Iran natal libre et progressiste, lui être dérobée par le régime islamiste. On retrouve également ici une dualité avec le thème de l’immigration : vivant entre Berlin et l’Iran, elle ne se sent pas complète. De plus, elle explique avoir séparé sa vie en deux, sa vie « de l’intérieur », privée avec ses amis, une vie joyeuse qui est communiquée par de nombreux plans de gens qui dansent, et sa vie « de l’extérieur » dans laquelle elle doit se cacher sous un hijab, qui n’est « pas seulement un morceau de tissu », nous dit-elle. En effet, le hijab représente la réalité oppressive à laquelle Farahnaz et ses proches font face.

Ce film est un acte de résistance, contre le régime islamiste iranien, une histoire alternative de l’Iran, c’est un témoignage contre l’oubli d’un Iran où les femmes étaient libres. Le soulèvement des femmes iraniennes en 2022 marquera un tournant crucial dans sa vie et celle de son pays.