Critique de Camilia von Wyss à propos du film Republic, de Jin Jiang
Dans un minuscule appartement de 6m² au cœur de Pékin, un jeune musicien idéaliste nommé Li Eryang a créé sa propre « république ». C’est un refuge, ou comme l’appelle le personnage principal « un centre d’énergie », où se croisent artistes, rêveurs et esprits libres. Les couleurs vives, la consommation de drogues et la perte de la notion du temps sont les mots d’ordre.
Le documentaire de Jin Jiang nous plonge dans cet espace fascinant où musique rock, discussions politiques et quête de liberté se mêlent dans une atmosphère psychédélique des années septante mêlant des mélodies des Beatles, des Bee Gees, de Bob Dylan et John Lennon.
Le film traite plein de questions existentielles soulevées par les adolescents de la Gen Z: la recherche de la paix intérieure, la remise en question du système politique chinois, le consentement, l’espoir d’un avenir meilleur ou encore le désir d’évasion de la réalité sociale.
À travers sa caméra intimiste, le réalisateur capture la vie quotidienne de cette microsociété qui défie les conventions de la Chine contemporaine. Entre méditations philosophiques, jam sessions improvisées et débats enflammés sur Marx et Mao, Li Eryang et ses amis tentent d’échapper à la pression d’une société obsédée par l’argent et le travail. Nous pouvons voir ce film comme une critique de la culture 996 (ndlr : rythme de travail qui consiste à de 9 h du matin à 9 h du soir, 6 jours par semaine), comme une république pour résister à ce rythme de travail illégal dans laquelle les jeunes restent couchés et renoncent à toute forme de travail.
Ce film dénonce également une réalité que les jeunes ne peuvent pas ignorer : les dettes. Ceci les fera sortir de leur insouciance rebelle. Republic dresse ainsi le portrait poignant d’une génération qui cherche à créer son propre espace de liberté, même si celui-ci ne mesure que 6m².
Critique de Camilia von Wyss à propos du film La Libertad de Fierro, de Santiago Esteinou.
César Fierro a été injustement emprisonné pendant 40 ans dans les couloirs de la mort à la prison de Polunsky, au Texas. Entré en prison à ses 23 ans, ayant survécu à 17 dates d’exécution qui n’ont finalement pas eu lieu, il est seulement relâché à 63 ans, « grâce à sa superbe équipe d’avocat » nous dit Santiago Esteinou, le réalisateur et scénariste du documentaire.
Santiago avait déjà fait un documentaire sur la vie de César en 2013, Los Años de Fierro, dans lequel il présentait le cas de Fierro. Il y révélait comment, grâce à uniquement des aveux extorqués sous la pression et la torture par la police mexicaine, César avait été condamné à mort au Texas pour le meurtre en 1979 d’un chauffeur de taxi d’El Paso. Ce premier film a servi de preuve, certifiant que le témoignage à la police mexicaine qui inculpait César, avait été obtenu par torture psychologique.
La Libertad de Fierro suit César lors de son « retour à la liberté » pendant la pandémie : il doit d’abord passer une quarantaine à Mexico, puis il vivra avec Santiago et sa famille.
Le film montre combien l’emprisonnement a détruit la vie d’un innocent : il a du mal à être entouré de gens sans penser qu’ils vont lui faire du mal, ainsi qu’à établir une routine de travail et à s’habituer aux nouvelles technologies qui font aujourd’hui partie de notre quotidien mais qui lui sont inconnues.
Le film adopte une approche intimiste grâce à sa caméra portée (technique utilisée durant presque tout le film) créant une atmosphère d’authenticité remarquable. La structure narrative, rythmée par des fondus au noir qui démarquent des chapitres, permet aux spectateurs d’assimiler progressivement la dure réalité vécue par César.
Les thèmes évoqués dans le film nous concernent tous, qu’il s’agisse de la perte de proches ou de la liberté, ils nous permettent, en tant que spectateurs, d’entrer facilement en connexion avec César. En incluant des moments portés par la musique et montrant la réalité crue que vit César, ce film nous fait ressentir le plus humain des sentiments : l’empathie. La Libertad de Fierro mêle émotion et tragédie, montrant une grande douceur dans l’amitié partagée par César et Santiago, qui contraste avec la tragédie omniprésente.
La particularité de ce documentaire réside dans le double rôle du réalisateur Santiago Esteinou, qui est également personnage du film. Grâce à la relation intime qu’il a construite avec César, cette position unique nous place dans la perspective d’un ami proche du protagoniste.
Le film soulève des questions profondes sur la nature de la liberté et met en lumière les conséquences dévastatrices de l’incarcération : le temps perdu, les opportunités manquées, les talents inexploités. À travers ses échanges avec Santiago, César Fierro partage non seulement les abus qu’il a endurés, mais aussi ses espoirs et sa détermination à survivre mentalement et physiquement à l’enfermement. En suivant son parcours et sa difficile réadaptation, le spectateur est amené à réfléchir sur ces droits fondamentaux que nous tenons souvent pour acquis. La question centrale persiste : est-il possible de retrouver véritablement sa liberté après 40 années d’emprisonnement ? Le film laisse chaque spectateur cheminer vers sa propre réponse.
Critique d’Angelo De Jesus à propos du film Funmilayo Ransome-Kuti, de Bolanle Austen-Peters.
Funmilayo Ransome-Kuti retrace la vie de Francis Abigail Olufunmilayo Thomas. Une enseignante qui s’est battu pour la liberté des femmes dans son Nigeria natal. La manifestation qu’elle a organisée avec d’autres femmes de la région, connues pour leur statut social et leur éducation, a permis, grâce à son influence, de faire entendre sa voix dans tout le pays. Sa volonté de changer les choses a apporté une grande force au pays et aux femmes de toutes les classes sociales.
Le film commence à l’hôpital où, après avoir été jetée d’un balcon par la police, Funmilayo reçoit une journaliste française pour une interview. Le film s’articule entre les flashbacks qui racontent l’histoire de son enfance et les retours au présent qui nous montrent Funmilayo racontant son histoire à la journaliste. Les émotions de la Funmilayo du présent qui raconte son passé touchent le cœur du spectateur et lui donne envie de savoir plus sur ce personnage si influent au Nigeria.
Le cadrage et les dialogues accompagnent le rythme de la narration rendant le récit clair et permettant de s’accrocher à cette histoire.
Ce film de Nollywood réalisé par Bolanle Austen-Peters m’a fait ressentir de la nostalgie. Les couleurs vives des robes et le côté comique de l’œuvre, porté par le jeu d’acteur, m’ont rappelé des souvenirs d’enfance. Les paysages et les personnages nous montrent l’histoire et la force des femmes de cette époque.
Parfois, il suffit d’une seule personne pour changer le monde et le rendre meilleur. Mais la lutte portées par ces femmes pour avoir des droits et leurs voix entendues nous montre la vraie force qu’elles peuvent avoir en groupe. Le film montre clairement qu’il faut avoir de la volonté pour faire changer les choses.
My Stolen Planet (2024) est un long métrage de 80 minutes réalisé par Farahnaz Sharifi, une documentariste iranienne. Avec ce film elle s’impose comme une voix essentielle de l’exil et de la mémoire. En coproduction entre l’Allemagne et l’Iran, le film a été présenté à la Berlinale 2024 et interroge les déracinements géographiques et émotionnels à travers un mélange saisissant d’archives personnelles et collectives. Ce film, à la croisée de l’intime et de politique, questionne la fragilité de l’identité dans un monde en perpétuelle mutation.
L’intrigue du film s’articule autour du temps qui passe et de la vie de notre protagoniste et narratrice : Farah. Le film aborde des thématiques poignantes, telles que les conditions des femmes en Iran, leur manque de liberté et l’obligation du port du hijab. En même temps, il explore des aspects plus sensibles comme l’importance de la mémoire, représentée à travers une passion pour l’art (photographie, cinéma, danse, etc.) qui se heurte à la maladie d’Alzheimer (la mère de la protagoniste est atteinte de cette maladie). Le long-métrage met aussi en lumière la force de l’amitié, qui alimente les révoltes.
Le film adopte une approche de journal intime, où Sharifi explore sa vie sous le régime iranien post-révolutionnaire. Elle juxtapose de moments de liberté privée, comme danser et chanter sans hijab chez elle, avec la réalité publique où ces actes sont interdits et où le port du hijab est obligatoire. Pour enrichir son récit, elle intègre des vidéos personnelles et des films Super 8 de familles iraniennes, illustrant la vie avant et après la révolution.
Le passage où Farah et ses amis dansent en cachette est profondément émouvant, car il symbolise une quête désespérée de liberté dans un environnement oppressant. Leur danse, bien plus qu’un simple mouvement, devient un acte de résistance, un moyen d’exister pleinement dans un monde qui leur refuse leur liberté. Le fait qu’ils soient contraints de vivre ce moment dans le secret renforce l’émotion : chaque geste, chaque rire partagé devient précieux, comme une lueur d’humanité dans un espace où elle est réprimée. Ce contraste entre la joie intense de la danse et la clandestinité de l’acte souligne la fragilité mais aussi la force de leur lien.
Cette scène, bien que lumineuse, porte en elle une grande tristesse, car elle révèle l’ampleur des libertés volées. C’est pourquoi elle est si émouvante : elle capte l’essence de ce qu’il y a de beau et de tragique dans l’humanité.
De plus, l’aspect de la quête des archives par le biais de vidéos et de photos est très poignant. Cette lutte pour capturer des souvenirs, en contraste avec l’oubli progressif de sa mère, montre à quel point la mémoire, qu’elle soit préservée ou perdue, façonne notre perception de la réalité.
My Stolen Planet nous offre le regard audacieux d’une jeune femme qui, face à cette situation effroyable, lutte pour préserver sa mémoire et sa liberté. Et si, à travers l’histoire de Farah, nous rendions hommage à toutes ces femmes qui, même dans les conditions les plus oppressives, refusent de se soumettre, de se taire et continuent de se réinventer ?
My Stolen Planet est un film autobiographique de la cinéaste iranienne Farahnaz Sharifi.
Farahnaz naît en 1979 lors de la révolution islamique qui secoue son pays. À l’âge de sept ans elle prend conscience que sa vie se déroule sur deux planètes : celle de l’Ayatollah, des photos en noir et blanc, sans un sourire, vêtue de noir et les cheveux voilés, et celle qui lui appartient, des photos en couleurs, d’une vitalité brimée, réprimée, d’une liberté qu’elle ne peut espérer qu’entre les murs de sa maison, que l’on ne peut deviner qu’à travers l’objectif d’une petite caméra qu’elle achète jeune adulte. L’achat de cette caméra marque le début d’une addiction, celle de se souvenir. C’est à travers ses archives cinématographiques, et celles d’inconnus qu’elle achète et collectionne, que le film retrace le temps qui est passé. Par le biais des images de téléphones portables, de bobine super 8, nous partons dans une grande quête contre l’oubli.
Farahnaz nous dévoile des scènes de vie d’elle et de ses amies, d’une joie, d’un élan de vivre si en contraste avec ce qu’elles doivent se contenter de transparaître à l’extérieur, des scènes d’effusions qui nous donnent envie d’oser se sentir vivant comme nous pouvons l’être. La spontanéité des séquences filmées, très sombres, très floues, quelquefois retournées ou de travers, nous donne réellement l’impression de s’immisçant dans l’intimité de la vie de ces Iraniennes. Une triste réalité parfois dure à encaisser.
Les images parfois kaléidoscopiques des vieilles pellicules nous montrent des souvenirs d’autrefois, des archives d’Iraniens en exil ou à qui l’on a confisqué le droit à la mémoire. Au milieu des révoltes et de l’oppression, la réalisatrice écrit ainsi une autre histoire de son pays. Et lorsque les cris des émeutes, les coups de fusils ou les rires cessent, il ne reste que le bruit du cliquetis du scanner super 8 et de nos pensées qui résonnent.
Ce documentaire autobiographique finit en Allemagne lorsque Farahnaz se rend à Berlin pour une résidence artistique. Mais une fois la résidence terminée, les autorités iraniennes lui interdisent d’entrer en Iran. Dans l’impossibilité de rentrer chez elle, elle poursuit son film en exil. Lors d’une manifestation pour les droits des femmes d’Iran à Berlin, elle avoue pouvoir filmer en public sans craindre pour sa vie pour la première fois. C’est avec une scène poignante où l’on suit la foule chantant à plein poumon une hymne à la liberté qu’elle termine son histoire, la dédiant à toutes les femmes s’étant battues pour leurs droits.
Critique de Margot Chatelan à propos du film My Stolen Planet, de Farahnaz Sharifi.
My Stolen Planet, sorti en 2024, est un documentaire historique et autobiographique réalisé par Farahnaz Sharifi. Le métrage de 1 heure et 26 minutes retrace l’histoire de la réalisatrice, née en 1979 en Iran, après la révolution islamique.
Sharifi collecte et compile des bobines de films familiaux abandonnés pour créer un recueil de souvenirs d’un Iran en voie de disparition. À travers ses images d’archives et de celles de la réalisatrice, le film aborde l’oppression exercée par l’État iranien et la révolte qui en découle. Par le biais de témoignages anonymes et non anonymes, de scènes de violence policière dans les rues, de photos, de vidéos familiales et d’instants festifs, le film témoigne le cauchemar que les citoyen·ne·s iranien·ne·s éprouvaient.
Le son ambiant d’une vieille caméra du siècle dernier, la voix off et la musique utilisées dans le film permettent au spectateur de se plonger totalement dans les images. La voix profonde de Mme Sharifi résonne dans le silence, faisant vibrer chaque parcelle du corps et rendant le film encore plus émouvant. Le son de la pellicule qui défile ne permet pas d’oublier l’intention première de la réalisatrice : montrer la vie quotidienne des habitants de l’Iran à travers des vidéos et des clichés pris par les Iraniens eux-mêmes ! Le tout est ponctué par une musique émouvante et nostalgique, avec des chansons qui font danser ses personnages et qui transportent le spectateur en Iran. La recette parfaite pour mettre la larme à l’œil !
Le montage oppose la violence de la répression dans les rues d’Iran au calme et à la joie de danser dans l’intimité des appartements. Toutefois, des vidéos prises dans la rue où vit la réalisatrice, sous un temps toujours pluvieux, viennent adoucir quelque peu la rudesse des transitions et donnent au spectateur l’occasion de reprendre son souffle.
My Stolen Planet exprime le refus de la réalisatrice, ainsi que de milliers d’autres femmes d’Iran, de se plier aux mesures répressives du gouvernement, mais aussi la recherche d’une échappatoire dans un pays où la violence et la censure règnent. Des témoignages doux et poétiques qui racontent une histoire déchirante et pourtant une terrible réalité.