Critique de Lisa Arisaldi à propos du film Funmilayo Ransome-Kuti, de Bolanle Austen-Peters

Funmilayo Ransome-Kuti est un long métrage nigérian réalisé par Bolanle Austen-Peters, sorti en 2024. Ce biopic de 91 minutes retrace la vie de Funmilayo Ransome-Kuti, figure de proue du féminisme et militante pour l’indépendance nigériane. Le récit explore son engagement politique, depuis son combat contre les taxes injustes sur l’eau et les marchés imposés par les autorités coloniales, jusqu’à son rôle de meneuse à l’Abeokuta Women’s Union.
Si le film parvient à mettre en lumière les moments marquants de la vie de Funmilayo, il laisse néanmoins plusieurs zones d’ombre qui mériteraient d’être approfondies. La narration se concentre principalement sur sa lutte contre l’injustice économique imposée aux commerçantes, mais effleure à peine son impact global dans le féminisme africain et sa contribution politique à l’échelle mondiale. Ce manque de développement, en particulier vers la fin du film, donne une impression de précipitation, empêchant d’appréhender pleinement l’ampleur de son héritage.
Dès l’ouverture, le film captive avec une scène intrigante où Funmilayo est brutalement jetée d’un balcon par la police nigériane. Pourtant, ce moment reste inexpliqué jusqu’à la fin, ce qui crée une rupture dans la continuité du récit. Ce choix scénaristique, au lieu de susciter un effet de suspense maîtrisé, donne plutôt l’impression d’un élément laissé en suspens, fragilisant la cohérence narrative. De plus, la conclusion semble précipitée, ne permettant pas de saisir pleinement l’impact global de Funmilayo sur les mouvements féministes et politiques de son époque.
Les flashbacks, qui auraient pu enrichir l’histoire et apporter de la profondeur au personnage, sont accompagnés d’effets spéciaux d’un style “vintage”. Si cette approche peut sembler audacieuse, elle s’avère excessive et parfois distrayante, atténuant l’immersion et la portée dramatique du récit. Une mise en scène plus sobre aurait sans doute mieux servi l’intensité historique du sujet.
Pourtant, certaines scènes se démarquent par leur force visuelle et symbolique. L’une des scènes le plus marquantes est celle où Funmilayo, vêtue de rouge, confronte l’Alake d’Abeokuta pour dénoncer les taxes abusives imposées aux femmes du marché. Le choix du rouge éclatant ne semble pas anodin : il incarne à la fois la passion, la colère et le sacrifice, illustrant la détermination inébranlable de Funmilayo face au pouvoir. Cependant, si cette scène capte l’essence de son combat, d’autres séquences sont affaiblies par des choix narratifs discutables. Les éléments romantiques, paraissent trop clichés et viennent diluer l’impact des moments clés, rendant certaines parties du film moins percutantes.
Le jeu d’acteur est un autre aspect contrasté du film. Kehinde Bankole (Funmilayo Ransome-Kuti dans les années 1940) offre une interprétation puissante et nuancée, rendant justice à la complexité du personnage. Joke Silva (Funmilayo Ransome-Kuti, après l’accident de 1977) apporte une profondeur supplémentaire avec une présence forte à l’écran. En revanche, certaines performances secondaires, comme celle de la journaliste française, manquent de subtilité et affaiblissent l’intensité dramatique de certains moments cruciaux. Cette inégalité dans le jeu nuit légèrement à l’immersion et à la portée émotionnelle du récit.
Malgré ces faiblesses, le film réussit à transmettre des thématiques puissantes. L’émancipation féminine, la résistance face à l’oppression coloniale et le pouvoir de la mobilisation collective sont au cœur du récit. L’esthétique du film, avec ses couleurs vives et ses cadrages dynamiques, renforce l’impact visuel et l’immersion dans l’époque. Toutefois, avec un budget important et la réputation de Nollywood, on aurait pu s’attendre à une narration plus équilibrée et à un développement plus approfondi des personnages secondaires.
En définitive, Funmilayo Ransome-Kuti reste une œuvre essentielle, qui met en lumière le combat d’une femme exceptionnelle contre l’injustice, tout en insufflant une touche d’humour rendant le visionnage agréable. Pourtant, on en ressort avec un sentiment d’inachevé : celui de ne pas avoir eu une vision complète de la vie d’une figure historique aussi marquante. Le film nous laisse alors avec une question : que reste-t-il d’un combat lorsqu’on n’en raconte que des fragments ?